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Renault : je t’aime, un peu, bas coûtEn ouvrant, hier, une usine Dacia au Maroc au détriment d’un site français, le constructeur automobile inquiète ses syndicats.
Par YANN PHILIPPIN, JEAN-CHRISTOPHE FÉRAUD
«L’usine de tous les dangers.» C’est ainsi que la CGT a baptisé le nouveau site de Renault à Tanger, au Maroc. Cette usine géante va en effet fabriquer entre 150 000 et 170 000 véhicules low-cost par an… et jusqu’à 400 000 véhicules lorsque la deuxième ligne de production sera lancée, en 2013. Soit plus de la moitié de la production totale du constructeur en France ! Tanger va surtout permettre au français de lancer deux nouveaux modèles à bas coûts - vendus en Europe sous la marque roumaine Dacia - inspirés des derniers véhicules Renault encore fabriqués à 100% dans l’Hexagone : le Scénic et le Kangoo.
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Avec ses copies de voitures made in France, Renault organise la mise en concurrence de sa propre gamme, ce qui crée un vrai risque pour les usines françaises», déplore Fabien Gâche, délégué central CGT Renault. D’autant plus que les nouvelles Dacia vont afficher des tarifs ébouriffants. Le monospace Dacia Logdy, lancé en avril, sera aussi grand que la version longue du Scénic, fabriqué à Douai (Nord). Mais il ne coûtera qu’un peu plus de 10 000 euros en version de base, soit deux fois moins cher que le modèle Renault (à partir de 21 500 euros). Bref, «scandaleusement accessible», comme le vante la publicité Dacia. Même si, à ce prix-là, le Lodgy sera évidemment bien plus rustique.
Clone. «Cela n’a rien à voir avec un Scénic !» lance Gérard Lolivier, responsable du syndicat FO de l’usine de Douai. Il espère que le monospace Renault sera protégé par son positionnement haut de gamme

. La concurrence de Dacia sera encore plus rude pour le Kangoo, fabriqué à Maubeuge (Nord). Tanger va en effet fabriquer un clone low-cost de cet utilitaire, en version professionnelle et familiale. Or, les artisans et les entreprises, premiers clients de ce type de véhicule, sont bien plus sensibles au prix qu’au statut social

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A Douai, tous les syndicats se disent «inquiets» du risque de «cannibalisation». SUD a sonné l’alerte dès la fin 2009, lorsqu’une ligne d’emboutissage du site a été fermée pour être transférée… à Tanger. «Ce sont les gars qui déménageaient les machines qui nous l’ont dit», raconte le responsable local de SUD, Lionel Lereche. Un an plus tard, la CGT lançait une pétition pour que le Scénic pas cher soit, lui aussi, assemblé à Douai. Mais vu leur prix, «nous ne pourrions pas produire ces voitures en France», explique Arnaud Deboeuf, patron de la gamme low-cost chez Renault.
L’arrivée du Lodgy tombe d’autant plus mal que Douai traverse une mauvaise passe. Avec la baisse des ventes du Scénic et la délocalisation de la Mégane en Espagne, le site a vu sa production divisée par plus de deux en sept ans (180 000 voitures l’an dernier) et ses effectifs fondre de plus 3 000 personnes. Malgré cela, Douai, qui ne tourne qu’à 40% de sa capacité, est toujours en sureffectif : sur 4 800 salariés, 800 sont «prêtés» à d’autres usines du groupe. Le site va tout de même retrouver des couleurs en 2014, puisqu’il assemblera les futurs modèles haut de gamme

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En visite à Douai le 17 février, le numéro 2 de Renault, Carlos Tavares, a voulu rassurer les troupes : selon une étude interne, le risque de cannibalisation ne représenterait, au pire, que 5% des ventes. Quatre jours plus tôt, Renault avait invité la presse pour délivrer le même message : il n’y a quasiment pas de concurrence entre Dacia et la marque au losange, car la clientèle est radicalement différente. «On séduit des clients qui n’avaient pas les moyens d’acheter une voiture neuve», indique le directeur du développement de Dacia, Raphaël Treguer, qui ajoute que 82% des acheteurs de Dacia avaient soit une voiture d’occasion, soit un véhicule ancien.
Reste que les ventes de Dacia ont presque doublé en Europe entre 2006 et 2010, tandis que celles de Renault baissaient de 15%. Même si cette chute s’explique davantage par la faiblesse du haut de gamme que par la concurrence de Dacia, les salariés de Renault ont de bonnes raisons de s’inquiéter. La production de la marque au losange en France n’a cessé de reculer : en 2011, 445 000 voitures et 201 000 camionnettes sont sorties des lignes de production, contre 1,1 million de voitures et 227 000 utilitaires en 2004. «Ce n’est pas quelque chose qui se fait au détriment de la France», répétait hier sur tous les tons le PDG de Renault, Carlos Ghosn. Tavares a, lui, carrément promis mardi que «la fabrication des voitures à Tanger rapportera 800 euros à la France par véhicule : 400 euros de pièces livrées et 400 euros d’ingénierie».
«Déserteur». Mais en pleine campagne électorale, la polémique sur les délocalisations a évidemment rebondi. A gauche, Bruno Le Roux, porte-parole de François Hollande, a dénoncé le «dumping social» de Renault au Maroc et «une puissance publique low-cost». A droite, le candidat Dominique de Villepin a pointé «une erreur stratégique» du constructeur. L’ex-ministre de l’Industrie Christian Estrosi a accusé pour sa part Renault de «jouer contre l’industrie française». Et le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan a carrément traité Carlos Ghosn de «déserteur de l’économie».Nicolas Sarkozy, qui cherche désespérément à se vendre en sauveur du «made in France», s’est, lui, abstenu d’aller inaugurer l’usine de Tanger en compagnie de Mohammed VI…